Tu veux ma photo ?

Jean-Pierre Bucciol

Octobre 1999 (au moins)

« Si tes photos ne sont pas assez bonnes, c’est que tu n’étais pas assez près ! » (Robert Capa)
Si l’on s’arrête cinq minutes dans un endroit où il y a des gens, que ce soit une rue ou un champ, on aura l’occasion de faire une photographie intéressante. Le plus difficile est de s’arrêter. Une photographie intéressante à mon goût est une photographie où l’on reconnaît un moment, un geste, qu’il soit en acte ou imaginaire. La photographie d’un objet par exemple, n’est intéressante que si on peut imaginer une personne s’en servant, s’en étant servi, l’ayant fabriqué, etc. Une photographie ne vaut que par les personnes qu’on y voit ou qu’on y imagine, photographe inclus.

Sur le terrain, d’un point de vue pratique, il est moins important de regarder dans le viseur que de faire l’effort intellectuel d’imaginer l’image définitive telle qu’elle sera sur le papier. Cet effort permet, de faire éventuellement abstraction de la couleur, de la profondeur de l’image, de chercher ce qui fait qu’elle aura peut-être de l’intérêt. Si on ne fait pas cet effort d’abstraction à chaque fois que l’on regarde dans le viseur, on est réduit à faire confiance au hasard pour obtenir une bonne image.

J’essaie de voir plusieurs expositions chaque année, de lire des livres de photographies et ces dernières années, de visiter des sites web. Quand une image plaît, si on arrive à dire pourquoi, ou tout du moins à préciser un détail sans lequel l’image n’aurait pas le même impact, alors on a fait un progrès pour la prochaine fois où l’on appuiera soi-même sur le déclencheur. La culture de l’image est indispensable.

J’éprouve une grande admiration pour un certain nombre de photographes. Henri Cartier-Bresson (1908-2004) a récemment été surnommé « l’œil du siècle ». Aucun autre que lui n’a su allier avec autant d’harmonie témoignage, instant et composition. HCB semble capable de lire en une fraction de seconde l’image que reçoit son œil, de la transformer mentalement en image rectangulaire plane noir et blanc, de l’analyser pour y déceler les points forts et l’équilibre des masses, et d’avoir le temps de décider si c’est le bon moment pour déclencher ! J’apprécie encore Walker Evans (1903-1975), Robert Frank (1924-2019), William Klein (1928-2022), Lee Friedlander (né en 1934), Alexandre Rodtchenko (1891-1956), Raymond Depardon (né en 1942), René Burri (1933-2014), Willy Ronis (1910-2009), Elliott Erwitt (1928-2023) et Gianni Berengo Gardin (né en 1930). Le plus jeune de ces grands-maîtres n’est plus tout jeune aujourd’hui, mais ma connaissance des photographes se fait surtout à travers le livre, et la publication favorise les anthologies aux travaux de jeunes talents.

Le lecteur perspicace se doutera maintenant que je suis surtout intéressé par la photographie de personnes, la photographie de rue (« street photography »), de villes (paysages urbains), la photographie sociale, la photographie quotidienne, et que je suis peu intéressé par d’autres types de photographie : la photographie de nature, de paysages, la macro-photographie, la photographie animalière, la photographie architecturale, la photographie astronomique, et d’autres… Même la photographie de studio, portraits, nus, etc., m’intéresse peu. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur mais simplement d’une affaire de goût personnel.

« La photographie n’a pas changé depuis son origine, hors ses aspects techniques, qui pour moi n’ont aucune importance. » (Henri Cartier-Bresson)
Je n’ai pas non plus d’exigences particulières concernant la qualité technique des images, les imperfections (comme on les appelle) telles flou, grain, vignettage, basse résolution, sur ou sous expositions, couleurs dénaturées, etc. Les bonnes images dépassent les contraintes techniques et en profitent même. Rappelons-nous seulement les images de Robert Capa lors du débarquement en Normandie le 6 juin 1944 : floues, bougées, mal développées… mais sans aucun doute les images les plus expressives du débarquement ! Il est bon d’ailleurs d’éviter les canons de la perfection photographique. Le résultat est souvent froid, stérile, inhumain. Il est aussi souvent défini par la presse qui demande aux photographes des images de plus en plus calibrées, normalisées. Il ne faut pas effrayer, changer les habitudes, risquer de déranger la clientèle. La photographie amateur et humaine, qui montre des défauts, est somme toute préférable.

L’accès à la photographie est aisé et tous les appareils sont depuis longtemps techniquement excellents. Les débats sur la « Kalité », que ce soit des objectifs, des capteurs numériques, des différentes technologies, etc., s’ils peuvent m’intéresser sur le plan scientifique, ne m’intéressent aucunement sur le terrain photographique. Je n’ai jamais raté une image parce que mon objectif ne « piquait » pas suffisamment ! Mais j’en ai raté un nombre considérable parce que j’avais mal géré les autres paramètres qui sont infiniment plus importants : sujet, cadrage, instant, lumière, expression, etc.

Ces opinions ne sont pas largement partagées et surtout le photographe n’est pas le meilleur juge de ses photographies. Il est toujours étonnant de voir comment certaines photographies que je juge tout juste passables sont considérées par d’autres comme excellentes, et inversement comment certaines que je trouve extraordinaires ne sont pas appréciées par les autres… Il me suffit d’ailleurs de voir les « meilleures » photographies publiées sur flickr ou sur photo.net (à savoir les photographies les mieux notées par les utilisateurs, en termes du nombre de fois vues, du nombre de commentaires qu’elles ont suscitées, de classements parmi des favoris, etc.), pour me rendre compte à quel point mes goûts et mes intérêts ne sont pas ceux de ces utilisateurs. Ce sont d’ailleurs mes lieux préférés pour trouver des fonds d’écran : les images sont gaies, colorées, et surtout ne distraient pas trop du boulot les yeux et le cerveau…

« Après quarante cinq ans de photographie, <je pense que> la destinée la plus ambitieuse pour une photo, c'est de finir dans un album de famille. » (Ferdinando Scianna)

Voilà. Vous connaissez maintenant tous mes secrets.

Je préfère vraiment à l'ancienne, par courrier électronique à l’adresse jpsmail(at)free.fr. Antispam : penseras-tu à remplacer (at) par @ dans l’adresse ? Que cela ne te prive pas d'ajouter un commentaire :

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Commentaire :

2 commentaires
Mathieu
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17 mai 2012 à 15 h 06 min
Je vous rejoins également et Mélisa aussi.
Capturer l’instant présent est un véritable art qui ne dépend pas vraiment du matériel.
Cependant mes goûts personnels observent un penchant tout de même pour l’architecture. Et je pense qu’on peut parfaitement mélanger architecture et photographie de rue. Mettre des gens dans un endroit urbain sympathique, figer une scène un peu "panoramique" en quelques sortes d’une place, d’une grande rue mais arriver à composer correctement et à "capter" l’oeil du spectateur est une autre paire de manches.
Mélina
-
7 avril 2011 à 13 h 12 min
Mes goûts semblent rejoindre les vôtres. Merci pour la liste de photographes connus ou moins, à; découvrir pour la novice que je suis … ou la liste de liens que je vais m’empresser de décortiquer.
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