Une interprétation de Blow-Up d’Antonioni

Jean-Pierre Bucciol

14 mars 2008

Écrit un jour de grippe intellectualisante. J’ai mis tellement de temps à comprendre quelque chose à ce film, que j’adorais pourtant et que j’avais vu une dizaine de fois. Quand il m’a semblé avoir compris quelque chose, j’ai voulu le faire savoir. Je me suis soigné depuis.

1 L’interprétation d’un film

Blow-Up est un film du réalisateur italien Michelangelo Antonioni qui a obtenu la palme d’or à Cannes en 1967. C’est un film dont le personnage principal est un photographe, un film devenu culte qui collectionne les scènes aujourd’hui légendaires et surtout un film difficile à interpréter. Cet article tente une nouvelle interprétation.

Blow-Up peut être vu sans qu’il soit nécessaire de poser la question de l’interprétation. Il peut être vu comme un Road Movie urbain. Suivre le cours de la vie d’un photographie dans les milieux branchés artistiques de la fin des années soixante et confronté soudainement à la découverte d’un crime, suffit déjà largement à l’intérêt toujours renouvelé du film.

Peut-on aller plus loin et chercher un sens supplémentaire à ce film ? Le film est complexe et a donné lieu à différentes interprétations. Cette difficulté est d’ailleurs une caractéristique générale du cinéma d’Antonioni, qui multiplie les ellipses et les non-dits. Blow-Up n’a que peu de dialogues, beaucoup de scènes sont muettes et seuls l’image et les bruits ambiants font avancer l’action.

Peu d’aide à l’interprétation existe en dehors du film. Antonioni était, semble-t-il, généralement assez avare d’explications dans ces interviews.

Le tournage à Londres a aussi été fortement perturbé par des questions budgétaires. Antonioni avait dépensé tout son budget avant que des scènes sensées être les plus importantes du film aient été tournées. Le producteur refusa une rallonge. Antonioni rentra en Italie et décida un nouveau montage du film sans ces scènes pourtant essentielles. Si le résultat est éblouissant, ces absences ne facilitent ni la cohérence ni la compréhension, et le nouveau montage participe sans aucun doute à la difficulté d’interprétation.

2 Des scènes cultes

La précédente section introduisait la question de l’interprétation du film d’Antonioni. La présente fournit un résumé de l’action et des principaux évènements du film.

Thomas (David Hemmings) est un photographe londonien branché. Lors d’une balade photographique dans un parc, il photographie de loin un homme et une femme (Jane, Vanessa Redgrave) qui se promènent et s’embrassent. La jeune femme s’en aperçoit et lui réclame la pellicule. Thomas refuse. Rentré chez lui, Thomas développe le film et s’aperçoit qu’il a photographié sans s’en rendre compte le meurtre de l’homme du parc par Jane et un complice armé d’un pistolet caché derrière une haie. Il retourne au parc et retrouve le mort. Pendant ce temps, on cambriole son laboratoire et les photographies du meurtre sont volées. De retour une nouvelle fois au parc, Thomas constate que le mort a lui aussi disparu. Il ne reste plus aucune trace du meurtre. La dernière scène du film montre Thomas jetant une balle de tennis imaginaire à des jeunes gens qui miment une partie de tennis dans le parc.

Greffées sur cette trame, plusieurs scènes du film sont devenues cultes. La première est une scène dans le studio de Thomas où il photographie un modèle dans un style très glamour et une imitation à peine déguisée de l’acte sexuel. L’utilisation des appareils photos (pour les fétichistes: un Hasselblad et un Nikon F), des accessoires de studio, les encouragements, cris, ordres et interjections au modèle, ont créé le mythe du photographe de studio et du mannequin modèle.

Une deuxième scène culte est une scène d’amour à trois: deux jeunes filles délurées qui veulent devenir mannequins (l’une est jouée par une toute jeune Jane Birkin) et Thomas, dans une mêlée au milieu de papiers de fond photographiques. Cette scène a créé le scandale en Angleterre, en tant que première fois où l’on voyait à l’écran des corps entièrement nus. Jane Birkin a raconté que le scandale avait été tel qu’on lui avait refusé l’accès de la salle lors d’une projection du film !

La scène centrale du film est la découverte par Thomas du meurtre, pendant qu’il développe et tire les négatifs. Cette scène est très longue et entièrement muette. On y voit Thomas créant le mythe du photographe en chambre noire: lumière rouge, bacs de produits chimiques, sécheuses, agrandisseur, tirage sur un mur, examen à la loupe, etc. Et il y a la découverte lente et progressive du meurtre. À partir d’un regard détourné de la jeune fille du parc, des agrandissements successifs d’une partie d’une haie voisine qui finissent par montrer un personnage avec une arme; puis dans un deuxième temps, la découverte du corps de la victime caché derrière un buisson. Tout cela est suggéré sans une parole, uniquement par les cadrages de la caméra sur les agrandissements et les bruits des objets de laboratoire utilisés par Thomas: du grand art.

Dernière scène culte: le concert des Yardbirds. Les Yardbirds sont un groupe anglais mythique qui a eu une influence considérable en ces temps de naissance de la pop music. Les deux guitaristes des Yardbirds n’étaient autres que Jeff Beck (Rhaaaa, l’immense Jeff Beck Group !) et Jimmy Page (Re-rhaaaa, le guitariste de Led Zeppelin !). Thomas à la recherche de Jane, tombe en plein milieu d’un concert des Yardbirds. Jeff Beck y massacre sa guitare qu’il finit par jeter au public et que récupère Thomas.

Pour rester dans cette ambiance musicale, la musique du film est une partition originale du musicien de jazz Herbie Hancock. Rythmée et répétitive, elle participe pleinement à l’atmosphère envoûtante du film.

3 L’interprétation habituelle

La première section introduisait la question de l’interprétation du film d’Antonioni. La deuxième fournissait un résumé de l’action et des principaux évènements du film. Cette section traite de l’interprétation habituellement donnée à ce film.

Blow-Up selon la plupart des commentateurs, questionne le spectateur sur le sens des images et leur portée, sur la frontière entre la réalité et la fiction. Thomas n’a pas vu le crime. Mais son appareil photographique l’a enregistré. En examinant les clichés, Thomas croit même dans un premier temps qu’il a empêché par sa présence un meurtre. Des agrandissements supplémentaires et la vision du corps sur une image lui montrent que son appareil photographique a enregistré en fait un crime. Thomas est-il véritablement le témoin ? L’image a dû être tellement agrandie pour rendre visible le corps que l’on ne voit plus qu’une masse de points. La photographie fait-elle preuve ? Le crime n’existe que dans l’image.

Il faut que Thomas se rende de nouveau dans le parc et y voit de ses yeux le corps, pour que le meurtre devienne réel. Mais le cadavre disparaît et les images sont volées. Plus aucune preuve n’existe. La succession mécanique des scènes, l’atmosphère onirique des clichés et du parc, le style elliptique du scénario engendrent une confusion constante entre réalité et imagination. Le crime somme toute a-t-il vraiment eu lieu ? N’est-ce pas un cauchemar ?

La dernière scène du film symbolise cette interprétation. Des jeunes gens jouent une partie de tennis fictive. Ils miment les gestes des joueurs. Leurs amis spectateurs suivent la balle imaginaire, tournant la tête de droite et de gauche. L’un des joueurs mime un coup raté et les joueurs et les amis spectateurs suivent la balle imaginaire des yeux. Les mouvements de caméra nous font comprendre que la balle imaginaire sort du terrain et s’arrête à quelques mètres de Thomas. Thomas hésite, va ramasser la balle, et la lance et la rend aux joueurs. La caméra et Thomas suivent la balle imaginaire. Pendant les dernières secondes du film, on entend le bruit de la balle sur le terrain. L’imaginé est-il devenu réalité ?

Le parcours de Thomas, ses interrogations, ballottés entre réalité et fiction, entre agrandissement et vérification, deviennent par la réalisation très particulière d’Antonioni, aussi ceux du spectateur. A-t-il bien vu le film ? L’a-t-il bien interprété ? Ce film demande a être vu de nombreuses fois pour parvenir à en tirer toutes les informations, souvent à peine suggérées.

Cette intéressante interprétation rend relativement bien compte du film.

4 Des scènes inexpliquées

La première section introduisait la question de l’interprétation du film d’Antonioni. La deuxième fournissait un résumé de l’action et des principaux évènements du film. La troisième traitait de l’interprétation habituellement donnée à ce film. La présente montre que plusieurs scènes du film restent inexpliquées par cette interprétation.

Essayer de comprendre les intentions d’un auteur n’est pas chose facile. Une interprétation convaincante se doit néanmoins de donner une explication, à tout le moins une perspective, de toutes les scènes du film. Perspective quelquefois seulement, parce qu’une scène n’a pas toujours pour but de faire avancer l’action: elle peut être nécessaire en tant que scène d’exposition, pour introduire un personnage ou une situation, cerner un caractère, etc. Mais ces scènes doivent toutefois s’insérer avec cohérence dans une interprétation idéale d’une oeuvre. Dès les premières scènes du film, on est confronté à cette question de cohérence avec l’interprétation courante, qui rappelons-le, tournait autour du sens des images et de leur portée, sur la frontière entre la réalité et la fiction.

La première scène nous montre une bande de jeunes gens, les mêmes mimes costumés que l’on reverra dans la toute dernière scène du film, s’amusant dans les rues de Londres, perturbant la circulation et réclamant de l’argent aux conducteurs. Cette scène peut éventuellement être considérée comme une scène d’exposition, pour montrer la dualité du Londres des années 60: le Londres de la jeunesse et de l’amusement d’un côté, et un Londres plus réel, plus adulte, celui de la circulation, du travail. Sans parler du clin d’oeil à la dernière scène du film qui réutilisera les mêmes personnages.

Thomas se rend chez un antiquaire. On le suit sur la route (il roule dans une Rolls décapotable !), traversant en auto un Londres de maisons colorées (la plupart d’un superbe rouge), des magasins pimpants, des pubs. Tout cela ressemble à une vieille cité idyllique à dimension humaine. Puis il longe de nouvelles constructions, des immeubles d’habitations, cubiques, en béton brut, gris et la caméra s’attarde sans raison sur ces horreurs, que nous connaissons tous aujourd’hui pour les avoir vu proliférer partout. Rappelons-nous tout de même que nous sommes alors en 1966-67: Antonioni visionnaire urbain ?

Thomas arrive au magasin d’antiquité, vieille boutique en bois dans une maison en brique à un coin de rue typiquement vieille Angleterre. Le vieil homme qui tient la boutique fait tout pour ne rien vendre et être désagréable envers son visiteur. Si l’on s’en tient à l’interprétation standard du film d’Antonioni, à quoi sert cette scène ? En quoi fait-elle avancer l’action ? En quoi décrit-elle, expose-t-elle une situation, sur le moment ou qui sera réutilisée plus tard ? On a bien du mal à répondre.

Thomas entre ensuite dans le parc voisin, et commence alors une des scènes centrales du film, dans laquelle il photographie sans s’en rendre compte le meurtre. Quand Thomas sort du parc, il retourne dans le magasin d’antiquités et rencontre la véritable propriétaire, une jeune femme un peu étrange, à tout le moins rêveuse. On comprend que Thomas cherche à acheter le magasin, et qu’il a même déjà envoyé un négociateur pour ce faire. La conversation est étrange. La propriétaire souhaite vendre pour « faire quelque chose de différent », en a assez des antiquités et souhaite partir dans un pays comme le Népal ou le Maroc. Elle n’est manifestement pas très fixée, du moment que c’est exotique et très différent de la vie londonienne. Thomas tombe amoureux d’une énorme hélice d’avion qui se trouve dans le magasin et l’achète immédiatement. En repartant, il cherche à joindre le négociateur avec son téléphone de voiture, pour qu’il achète absolument le magasin. Je cite les paroles de Thomas, qui s’énerve un peu auprès de l’opératrice parce que le négociateur n’est pas d’accord: « Et les nouveaux immeubles dans le quartier ? Il y a déjà des pédés et des caniches, là-bas. J’en ai vu pendant les deux minutes que j’y étais. C’est une véritable bombe ». Cette suite de la première scène chez l’antiquaire est vraiment difficile à interpréter si l’on s’en tient à l’interprétation courante.

Thomas retrouve son agent dans un restaurant. Il lui montre ses dernières photos qu’il compte mettre dans son livre. La conversation dérape sur des sujets étonnants. Thomas, regardant par le fenêtre:

« J’en ai marre de Londres.

– Pourquoi ?

– Elle ne fait rien pour moi. »

Une jolie femme maniérée et provocante passe devant eux. Thomas: « J’en ai marre de ces foutues salopes. Si j’avais des tonnes d’argent, je serais libre. » L’agent lui montre une des photos montrant un clochard et dit « Libre pour faire quoi ? Libre comme lui ? » Comment fait-on pour comprendre ces dialogues avec l’interprétation standard ?

Nouvelle scène curieuse à la suite de la précédente: Thomas repart en voiture du restaurant. Il est arrêté par des manifestants qui protestent contre la guerre et la bombe nucléaire. Un manifestant cale sa pancarte « GO AWAY » (du Vietnam sans doute ?) dans les places arrières de la Rolls décapotable. Thomas l’aide et repart avec la pancarte. Mais le vent emporte la pancarte qui tombe sur la route et une auto lui roule dessus. Quel lien peut-on trouver entre cette scène et l’interprétation standard ?

Et il y a aussi la scène avec les deux jeunes filles et l’amour à trois dans le papier photographique dont nous avons déjà parlé dans un précédent paragraphe. Comment l’interpréter ? Est-ce encore une scène d’exposition pour présenter l’ambiance ou le caractère de Thomas ? Mais nous en sommes déjà à 1h08 sur 1h45 de durée totale du film.

Vient la scène avec les Yardbirds. Thomas croit voir Jane dans la rue et entre en la cherchant dans la salle où a lieu un concert des Yardbirds. La scène est étonnante. Le public est jeune, et alors que les musiciens s’escriment sur la scène, les spectateurs sont complètement immobiles, les yeux fixes, telles des statues, à l’unique exception d’un couple qui danse dans le fond de la salle. Thomas cherche Jane au milieu de cette foule inerte et glacée. Puis Jeff Beck massacre sa guitare et jette le manche dans le public. C’est alors l’hystérie: les spectateurs crient et se battent pour le trophée ! C’est Thomas qui récupère la relique et il doit s’enfuir de la salle pour ne pas qu’on la lui arrache. Une fois dans la rue, il jette le manche de guitare par terre et s’en va. Selon l’interprétation standard, l’objet qui était une relique dans le contexte du concert, n’a plus aucun sens ni intérêt une fois dans la rue. La réalité de la rue est différente de la réalité de la salle de concert. Mais pourquoi cette passivité, cette apathie, ces regards morts des spectateurs, puis cette hystérie générale ?

Thomas décide alors de parler du crime à son agent. Celui-ci se trouve à une soirée et Thomas s’y rend. La maison où se déroule la soirée est remplie de jeunes gens qui fument de la marijuana. Les visages sont hébétés, les rires stupides, les conversations hallucinées. Son agent, drogué lui aussi, l’écoute à peine et entraîne Thomas à profiter lui aussi de la soirée. Quel besoin avait l’auteur de décrire ainsi cette soirée ? Est-ce simplement pour rendre compte de l’atmosphère et des habitudes des fêtes branchées dans ces années-là ? La chose est assez étonnante dans une des dernières scènes du film.

On retrouve dans la dernière scène du film, la bande de mimes dont nous avons déjà parlé. Ils sont une quinzaine et sont tous montés dans une Land Rover. ils crient, font les fous tout en roulant. La voiture finit par s’arrêter devant un terrain de tennis, et nous avons déjà parlé de la scène du match mimé qui suit. Cette bande de mimes est-elle si innocente que cela ? Pourquoi cette longue arrivée hurlante dans la voiture ?

Toutes les scènes que je viens de décrire peuvent-elles vraiment s’expliquer à l’aide de l’interprétation standard ? Est-ce la carence de certaines scènes qui rendent les autres aussi énigmatiques ?

5 Une nouvelle interprétation

La première section introduisait la question de l’interprétation du film d’Antonioni. La deuxième fournissait un résumé de l’action et des principaux évènements du film. La troisième traitait de l’interprétation habituellement donnée à ce film. La quatrième section montrait que plusieurs scènes du film restaient inexpliquées par cette interprétation. La présente fournit une nouvelle interprétation, essaie de rendre compte de toutes les parties du film et de restaurer sa cohérence. Parce que si vous avez lu entièrement les quatre précédentes sections, vous avez vraiment mérité de savoir !

Les commentateurs du film n’ont jamais à ma connaissance insisté sur un trait essentiel du film d’Antonioni: tous les protagonistes du film ont moins de trente ans, et souvent largement moins. Ce film traite de la jeunesse, d’une génération de jeunes gens dans les milieux branchés à la fin des années soixante.

Examinons maintenant de plus près comment apparaît cette jeunesse dorée tout au long du film: des mimes qui gesticulent et tournent en rond dans la cité en réclamant de l’argent; une propriétaire d’antiquités lunaire; des mannequins modèles aux comportements robotisés; des filles délurées aux cerveaux pleins de vide qui souhaitent devenir modèles; une « salope » qui fait des manières en se rendant aux toilettes; des spectateurs zombies aux regards morts dans un concert de rock; qui se transforment tout à coup en horde hurlante pour un manche de guitare; de naïfs manifestants qui sont contre la guerre et pour la paix; des fumeurs de marijuana aux visages hébétés et aux rires stupides; de nouveau des hurleurs et gesticulateurs dans une Land-Rover.

Comment apparaissent au contraire les quelques personnes plus âgées que l’on aperçoit dans le film ? Des clochards, des SDF, pour qui la vie est une souffrance quotidienne, que Thomas photographie sans la moindre compassion pour en faire un livre avant de repartir avec sa Rolls; un vieil antiquaire désespéré qui ne veut rien vendre; quant à la victime du meurtre, elle a passé la cinquantaine.

Thomas vit dans un monde artificiel, fait de décors, de modèles, de filles faciles, de drogues, dans lequel le superficiel est la norme. Le crime que photographie Thomas pourrait être la rupture, l’occasion qui le ferait sortir de cette mascarade, de cette comédie humaine. Il est alors confronté au réel, et qu’y-a-t-il de plus réel qu’un crime, que la mort ? Thomas pourrait se rendre à la police, cette expression la plus brute de la réalité (le mot police n’est prononcée qu’une seule fois dans le film, au milieu d’une conversation sentimentale). Mais Thomas renonce. Il renonce pour les paradis artificiels en compagnie de son agent lors de la soirée. Il renonce en renvoyant la balle imaginaire des mimes lors de la dernière scène du film. Il choisit de rester dans le monde facile de la pantomime et de ne pas se battre avec la réalité.

Thomas est cependant lucide. Son attitude rude, grossière envers les mannequins, les modèles et les filles, ses constantes remarques pour pointer leurs contradictions, le montrent: « Le Népal est plein d’antiquités », réplique-t-il à la jeune antiquaire lunaire qui veut fuir les antiquités pour se rendre au Népal; « Je croyais que tu étais à Paris ? », fait-il remarquer à un modèle qui lui avait dit quelques heures plus tôt qu’elle prenait l’avion. Il dit aussi la vanité de son monde: il en a « marre de Londres », de « ces foutues salopes ». Il voit aussi le décor qui l’entoure changer. Les habitations colorées à taille humaine sont remplacées par une architecture laide et grise, impersonnelle et artificielle. C’est sans doute ce qui le pousse à vouloir acheter ce magasin d’antiquités, expression d’une certaine proximité et humanité, pour qu’il ne soit pas rasé et remplacé par d’horribles cubes, remplis « de caniches et de pédés ».

Malgré son intelligence et sa lucidité, Thomas va pourtant préférer à la fin du film la facilité au combat, l’artificiel à la réalité. Et l’image dans tout cela ? La fameuse interprétation habituelle qui mettait en avant le sens des images et leur portée, la frontière entre la réalité et la fiction, est-elle encore fondée ? Partiellement peut-être. Blow-Up d’Antonioni est surtout à mon avis le procès d’une certaine jeunesse, d’une génération dorée, filmée au moment même de son épanouissement à la fin des années soixante. Antonioni est vraiment un visionnaire.

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Commentaire :

8 commentaires
tadeus
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5 juin 2016 à 20 h 21 min
« Il renonce en renvoyant la balle imaginaire des mimes lors de la dernière scène du film. Il choisit de rester dans le monde facile de la pantomime et de ne pas se battre avec la réalité. »
Merci Jean Pierre ! C’est bien la seule critique lumineuse qu’on peut trouver sur internet au milieu de toutes ces communes bêtises d’inspiration deleuzienne…
Anne
-
22 février 2014 à 13 h 25 min
Bonne interprétation.Je suis assez d’accord,bien qu’à mon avis,le protagoniste change pendant le film. Et c’est ça qui est intéressant.
Il vit dans un monde désespéremment superficiel et il est lassé. Il comprend à la fin que son milieu ne changera pas(son agent se fiche complêtement du meurtre).Il n’est plus comme eux.
Et la réalité devient pour lui plus excitante.
C’est à la fois une critique de la société et une bonne leçon pour chaque artiste.On va chercher l’extraordinaire dans l’imaginaire,et un jour la réalité nous surprend.
Eric
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20 janvier 2014 à 10 h 32 min
« Je croyais que tu étais à Paris ? », fait-il remarquer à un modèle.
S’il est en effet important de rappeler cette remarque, il est plus important encore de redonner la réponse.
"Mais, je suis à Paris."
A natural perspective that is and is not. (Shakespeare, Twelfth Night.) La vie est un songe…
jaya
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6 mars 2011 à 16 h 13 min
super interprétation du film,qui est pour moi trés incompris (peut-être que je suis un peu trop jeune pour comprendre)mais je cherche toujours à quoi sert le magasin d’antiquités dans le film…
Manon
-
5 décembre 2010 à 20 h 35 min
Je pense qu’à trop vouloir voir ce que les autres n’ont pas vu en généralisant sur visible/invisible realité/imaginaire, tu vois des choses dénuées de sens. Bien sur que c’est également un film sur le swinging london, mais c’est le contexte du film, l’arrière fond sur lequel s’installe les questions principales. Ce n’est ni un cauchemar, ni une folie;Et cette phrase me met hors de moi :"il choisit de rester dans le monde facile de la pantomime et de ne pas se battre avec la réalité. " C’est là bien tout l’inverse…
noca
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1 juillet 2010 à 11 h 38 min
Ce qui pourrait expliquer beaucoup de chose, ce serait l’endroit d’où Thomas sort au début du film: Cette scène n’est pas du tout mise en valeur, mais il m’a semblé qu’il sortait d’un asile ( c’est redit un peu plus tard dans le film ), ce qui rendrait la " vraie" interprétation complètement différente; Le héros ne choisit de retourner dans son monde superficiel, par exemple en rendant la balle invisible à la fin du film, il est peut être simplement fou?
luc
-
28 novembre 2009 à 17 h 55 min
Je trouve que ce film est aussi une succession de personnage excentriques qui ont des comportement assez étranges ( y compris thomas).Concernant le "meurtre" tout est possible, un mari? un amant? jane est elle complice? est ce que cet homme aurait pu être tué après avoir été mêlé a une affaire sans que Jane le sache?(elle veut juste récupéré la pellicule comme ca par pudeur) aurait il pu succomber a un infarctus et dans ce cas le visage dans la haie ne serait q’un reflet du feuillage….. tout n’est qu’illusion..oublions pas!
Danielle
-
17 octobre 2009 à 20 h 29 min
Intéressante analyse que je trouve cependant un peu moraliste; car enfin Thomas est moins drogué ou alcoolisé que les gens qu’il fréquente et domine avec morgue et la pantomime n’est pas le symbole de la superficialité mais, pour moi , de la création à laquelle il accède enfin;
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