Cet article est le sixième épisode de la série d'articles intitulée : la saga du vélo unique.

J'ai goûté pour la première fois au pédalier monoplateau il y a trois ans et je n'en suis plus revenu. La simplification des changements de vitesses pour le cerveau est un bonheur. Avec un plateau narrow-wide qui alterne des dents larges et des dents fines s'adaptant parfaitement aux maillons de la chaîne, les déraillements sont inexistants. La maintenance est un rêve : il n'y en a pas ! Oui, les cyclo-touristes privilégient les doubles et triples plateaux avec de bonnes raisons. Premièrement, pour pouvoir finement adapter la cadence de pédalage au profil de la route et au poids embarqué. Je n'ai jamais eu besoin de cette finesse. Avec 11 pignons sur la cassette arrière, vélo chargé ou non, le monoplateau me convient parfaitement. Ensuite, parce que les triples plateaux sont généralement couplés à une cassette avec moins de pignons (souvent 9) et que la chaîne utilisée est alors plus large que celle pour une cassette 11 vitesses, et donc plus solide. C'est vrai. D'après wiklou :

Et donc, oui, une chaîne 11 vitesses devra être changée plus souvent qu'une chaîne 9 vitesses. Disons qu'il faut savoir faire des compromis et renoncer quelquefois à un surcroît de robustesse. Et rassurons nous, les chaînes 11 vitesses sont quand même très robustes. Le bonheur d'utiliser un monoplateau prime pour moi.

Plus généralement, tout cela est une question d'usage et de compromis. Si je devais rouler à vélo pendant plusieurs mois ou années dans des régions du monde où les routes et chemins sont ravagés, loin de tout endroit où avoir des pièces détachées et faire des réparations, je n'aurais aucun scrupule à avoir sur mon vélo un triple plateau, une cassette à 7 pignons, une chaîne large, et même des freins à patins V-Brake et des commandes de changement de vitesses et de plateau à frictions ! Ce serait plus rustique, à l'usage moins rapide, efficace et confortable, mais cela serait plus rassurant en termes de facilité d'entretien et de réparabilité. Ce n'est pas le cas : les compromis sont différents.

Dans la liste des caractéristiques voulues pour le vélo unique, la contrainte la plus forte est sans aucun doute le mixage d'un cintre course, d'une transmission monoplateau à 11 vitesses et de freins à disques à câbles. Précisons le problème. Attention, ça pique un peu :

1) On souhaite utiliser le maximum de composants de la marque Shimano ou compatibles. Cette entreprise fabrique d'excellents produits. Que tout le monde se rassure : elle en fabrique aussi de très mauvais. Il suffit juste d'acheter les excellents. Les composants Shimano sont en tout cas les plus diffusés au monde et on s'en tient aussi à cette marque pour des raisons évidentes de facilité d'accès aux pièces détachées.

2) La commande positionnée à droite sur un cintre route réunit une commande du dérailleur arrière et une commande du frein arrière. Pour la commande à gauche : dans le cas d'un monoplateau, elle commande uniquement le frein avant; dans le cas d'un double ou triple plateau, elle commande le changement de plateaux et le frein avant. Les commandes sont aussi fondamentalement différentes selon que les freins à disques sont à câbles ou hydrauliques : dans le premier cas, le levier de freins tire un câble coulissant dans une gaine; dans le deuxième, il actionne un piston qui déplace une huile dans une durite. Ces commandes ne sont évidemment pas compatibles entre-elles. Pour résumer, je recherche donc pour ce vélo une paire de commandes ayant les caractéristiques suivantes :

• commande droite pour cintre course commandant un dérailleur 11 vitesses et un frein à disque arrière à câble;
• commande gauche pour cintre course commandant uniquement un frein à disque avant à câble.

3) Les dérailleurs (et donc les commandes associées) des gammes route (y compris gravel) et VTT de chez Shimano n'utilisent pas la même quantité de câble pour passer d'un pignon à un autre : les tirages de ces deux transmissions sont différents. Ces deux gammes sont donc incompatibles : on ne peut donc pas faire fonctionner des commandes route, y compris gravel, avec un dérailleur VTT. Et inversement.

4) Les tirages des freins à disques, qu'ils soient hydrauliques ou à câbles, dans les gammes route, y compris gravel, et VTT sont eux identiques. Ouf ! Les chaînes et les cassettes, à nombre égal de vitesses, sont elles aussi toutes inter-compatibles. Re-Ouf.

5) Dans la gamme Shimano route :

• on ne trouve de commandes pour monoplateau et 11 vitesses que dans la gamme gravel. Mais alors les freins à disques sont obligatoirement hydrauliques;
• dans la gamme strictement route et dans le reste de la gamme gravel, on ne trouve ensuite que des commandes pour double ou triple plateaux, pour 11, 10 vitesses ou moins, quelques unes pour freins à câbles, la plupart pour freins hydrauliques.

Il n'existe donc pas dans la gamme Shimano route, y compris gravel, de commandes pour monoplateau à 11 vitesses et freins à disques à câbles.

6) Dans la gamme VTT, on trouve toute sorte de transmissions, monoplateau ou non, et de freins à disques, hydrauliques ou à câbles, mais aucune commande pour cintre course, on s'en doute bien.

Si l'on reste donc chez Shimano, il n'y a pas de solution. Il existe pourtant une solution extérieure, hybride, permettant de mixer commande monoplateau pour cintre course, 11 vitesses et freins à disques à câbles. Il s'agit des commandes Microshift XLE SB-M110 :

Ces commandes pour cintre route ont la particularité d'être faites pour un pédalier monoplateau et 11 vitesses, freins à câbles, mais pour dérailleurs au tirage VTT. Le tirage des freins est au standard commun pour freins route, gravel et VTT. Ainsi, en associant :

• les commandes Microshift XLE SB-M110, pour monoplateau 11 vitesses et dont le tirage est au standard VTT Shimano;
• un pédalier monoplateau type Shimano Gravel GRX FC-RX600-1;
• une chaîne 11 vitesses type KMC X11EL;
• un dérailleur arrière 11 vitesses type Shimano Deore XT RD-M7000-11-GS Chape Moyenne, dont le tirage est au standard VTT Shimano;
• une cassette 11-46 11 vitesses type Shimano SLX CS-M7000-11;
• un câble et une gaine pour dérailleur VTT type Jagwire 1x Pro Shift Kit;
• des freins à disques à câbles (que l'on discutera plus tard),

on résout la quadrature du cercle.

La clé de ce montage est donc les commandes Microshift XLE SB-M110. Ce choix ne ferme cependant pas la porte au futur. Si Shimano devait sortir dans quelques mois un nouveau groupe route avec transmission monoplateau 11 vitesses et freins à câbles (une sorte d'hybridation entre la gamme route Tiagra et la gamme gravel GRX), il serait possible de passer à un système entièrement typé route, en changeant les commandes de freins/vitesses (et même uniquement la commande droite d'ailleurs), le dérailleur pour un dérailleur au tirage route (peut-être aussi le corps de roue libre pour un spécifique typé route).

J'ai déjà utilisé la version 10 vitesses de ces commandes Microshift XLE pendant deux ans sur un ancien vélo et je les ai trouvées excellentes. Elles sont très bien construites et se sont révélées être très fiables. Microshift est une société taïwanaise de composants vélos, principalement des transmissions. Elle a été créée par d'anciens ingénieurs de SRAM il y a une dizaine d'années.

J'ai par ailleurs un petit faible pour l'ergonomie de ces commandes. Les changements de vitesses se font via deux leviers, distincts du levier de frein et situées sous celui-ci. Autrement dit, le levier de frein proprement dit ne bouge jamais latéralement, comme sur un modèle Shimano.

Le premier levier de la commande de vitesses Microshift XLE, juste en dessous du levier de frein (le levier le plus petit), permet de descendre les pignons. Le deuxième encore en dessous (le plus large), permet de monter les pignons. Les deux leviers tombent parfaitement sous mon index et mon majeur : un autre petit bonheur. Cela dit, le système Shimano qui consiste à déplacer sur la gauche le levier de frein pour monter les pignons et à les descendre via au autre petit levier située sous le levier de frein, fonctionne très bien et est aussi très ergonomique. Il ne s'agit que d'une préférence, qui plus est infime.

L'esthétique de la commande droite est par contre discutable car le câble du dérailleur n'est pas intégré au cintre et traverse à 20 cm devant lui ! Il part perpendiculairement de la partie supérieure de la commande et arrive au niveau du tube diagonal du cadre. Sur mon ancien vélo, ce câble était presque entièrement masqué par le petit sac de 3L monté à demeure sur le cintre et ne me gênait absolument pas.

Cet article illustre par ailleurs, s'il en était vraiment besoin, la volonté totalement assumée de l'industrie du vélo de segmenter le plus possible le marché. La multiplication des standards et des incompatibilités sert à rendre le plus opaque possible les choix des consommateurs et utilisateurs et à les mettre à la merci des commerciaux : Business lesson 1. Heureusement, parmi la marée accablante des fausses innovations technologiques chaque année, quelques vraies avancées apparaissent de temps en temps. On s'en contente, bien sûr : le monde tourne ainsi. Mais il ne faut pas être naïf.

Ajout du 25 fév 2023 : voilà ce que donne les commandes avec leur câblage externe sur le nouveau vélo :

La suite au prochain épisode.